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Du « Royal-Cravate » de Louis XIV aux Régiments Croates de Napoléon
Allocutions prononcées à l’occasion de l’inauguration, le 28 octobre 1956,
de la plaque aux régiments croates, publiées dans la revue d’histoire militaire
« Carnet de la Sabretache » n°416, juin 1957.
Pour honorer la mémoire des Croates ayant combattu avec les armées
françaises, le Comité des Travailleurs croates a fait apposer sur les murs de
notre Hôtel une plaque qui va, désormais, rappeler à tous la fidèle et lourde
part que nos amis croates ont prise à notre histoire militaire.
Allocution de M. Mirko METER
Vice-Président du Comité des Travailleurs croates en France
L’Hôtel des Invalides est, pour tous les Français, nous le savons, le
mémorial permanent de la gloire militaire de leur patrie.
Qu’il soit permis à des travailleurs croates d’y apporter, avec cette
plaque commémorative, à la fois l’hommage de leur administration pour les
soldats croates et français qui, sous le même drapeau, ont combattu pour la
lente et difficile création d’une Europe viable et humaine, et aussi l’hommage
de leur affection pour la France, affection qui s’épanouit dans leur cœur et
dans leur cerveau, en reconnaissance de l’asile fraternel que leur a offert la
République, fidèle gardienne de ses traditions d’hospitalité.
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« À la mémoire des
régiments croates qui sous le drapeau français ont partagé la gloire de
l’armée française » |
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Nous sommes ici dans le Temple de Patrie.
Par une association d’idées inéluctable, nous pensons à notre propre
patrie.
Elle est fort ancienne, notre patrie, pour laquelle nous professons tous un
amour qui défie les souffrances morales et physiques.
Dès le IIe siècle après Jésus-Christ, sur la mer d’Azov, à l’embouchure du
Don, sur le sol de l’antique colonie grecque de Tanaïs, le mot
« croate » figure sur les tombes.
Sous empereur Héraclius, qui régna de 610 à 641, notre peuple était déjà
fixé sur le territoire compris entre la Drave et le littoral adriatique.
Ce n’est pas le lieu, ici, de faire un cours d’histoire de Croatie.
Mais il est nous cependant permis de rappeler combien est restée vivace, au
cours des siècles, la volonté d’indépendance politique, depuis qu’elle fut la
pensée dominante d’un Viseslav, premier prince croate dont l’histoire connaît
le nom, qui vivait en l’an 800, jusqu’au premier roi croate Tomislav en 925.
Tous les croates savent que, lorsque Tomislav ceignit la couronne royale
avec l’approbation de la Diète nationale et celle du Pape Jean X, la Croatie
constituait une unité nationale certaine et un État fort.
Cet État était fort sur terre et sur mer. Porphyrogénète nous assure qu’il
disposait d’une armée de cent mille fantassins et de soixante mille cavaliers. Sa
population était alors de deux millions d’habitants, ce qui en faisait un État
plus grand et plus important que l’Angleterre d’alors.
Son importance militaire et économique était attesté par sa flotte. La
Croatie possédait 180 navires alors que Venise en avait juste 200.
Il n’est pas en Croatie un enfant, même des régions les plus reculées, qui
ne sache quel grand roi fut Zvonimir, élu au pouvoir suprême en 1076. Avec la
protection du Pape Grégoire VII, le roi Zvonimir assura la paix en Croatie, ce
que lui permit de la doter de la prospérité, qui est attestée par les vielles
chroniques et dont on trouve encore le souvenir dans certains chants
populaires.
Un fait capital domine l’histoire de Croatie. Lorsque, après la mort
tragique du roi Zvonimir, Ladislas, roi de Hongrie, intervint militairement
dans les affaires croates, le peuple croate résista vingt ans par les armes.
Le peuple croate ne sait pas être un vaincu. Il ne courbe pas la tête. Il
ne sait pas accepter les dominations imposées.
Le successeur de Ladislas, Koloman, roi de Hongrie, ne put adjoindre la
Croatie à la Hongrie comme terre de conquête.
Les représentants des douze tribus croates l’élirent roi de Croatie. Koloman
se trouva ainsi être à la fois roi de Hongrie et roi de Croatie. C’était là une
union personnelle de deux couronnes. Cette union, dont la forme devait varier
plusieurs fois, durera plus de huit cents ans. Le fait capital pour l’histoire
de Croatie est celui-ci : l’individualité de l’État croate était
reconnue ; il était constaté que le peuple croate formait une nation
politique.
Il résulte de ce rapide et très sommaire aperçu de nos faits nationaux que,
depuis les temps très reculés, nous constituons une individualité nationale
qu’il n’est au pouvoir de personne de supprimer.
Certes, au cours des siècles, la vie historique du peuple croate a été
mouvementée, parfois très dure. Elle l’a été d’autant plus que la Croatie a été
le premier bastion de défense européenne. Sur ce bastion les Croates se sont
maintenus avec courage et prudence, prompts à se sacrifier. Ils ont ainsi donné
la preuve d’une rare conscience du sentiment européen.
Jamais le peuple croate n’a abdiqué son particularisme, héritage de son
passé glorieux et base de sa vie politique.
Un exemple typique s’en trouve dans l’attitude des Croates de Bosnie
pendant leur soumission à l’autorité ottomane. Ces Croates islamisés n’ont
jamais parlé la langue turque, employée dans l’administration, ni la langue
arabe, qui était celle de la religion. Bien mieux : ils ont imposé leur
propre langue à l’occupant turc. Au XVIe siècle, c’est la langue croate qui
était usuellement employée à la Cour du Sultan et dans la diplomatie ottomane.
Le cours des événements européens avait fragmenté les pays croates.
Les révolutions politiques et leurs conséquences diplomatiques, sociales,
furent, au XIXe siècle, un stimulant pour la résurrection nationale croate. Vitezovic
enseignait que la nation croate ne pouvait vivre que par la réunion de tous les
pays croates en un seul corps ? Cette idée pénétra dans les cœurs croates.
Elle prit en eux un aspect religieux. C’est dans cette religion patriotique que
prit naissance le réveil national du peuple croate.
Ce sens du patriotisme, cet effort permanent vers l’unité nationale, ces
aspirations vers la liberté, cette haine de l’oppression, ce désir de vivre en
paix avec ses voisins ne pouvaient que faciliter la sympathie mutuelle de deux
peuples ayant les mêmes passions et le même idéal, le peuple français et le
peuple croate.
Si nous y ajoutons le goût pour le métier des armes, nous comprenons
immédiatement comment ces deux peuples ont pu inscrire en commun dans leur
histoire des pages de grandeur militaire.
Ce sont des cavaliers croates qui, sous le roi Louis XV, sont venus renforcer
la cavalerie française. Un des régiments de cavalerie les plus estimés en
France portait le nom de « Royal-Croate ». Pendant la guerre de 1870,
la formation à laquelle il avait donné naissance, le premier régiment de
cuirassiers, se couvrit de gloire à la bataille de Rezonville.
Chacun connaît la présence des troupes croates sous les drapeaux de
Napoléon 1er.
En des temps beaucoup plus proches de nous, ces années dernières, des
soldats croates, engagés dans l’armée française, dans la célèbre Légion Étrangère,
sont tombés pour la France à Madagascar, en Indochine.
Il en est encore qui servent la France, sous son drapeau, en Afrique du
Nord.
Les uns et les autres, les cavaliers de Louis XV, les soldats de Napoléon
1er, les engagés volontaires de la République, nous les englobons dans la même
affection.
Et la plus noble, la plus vraie des expressions de cette affectation, ne
peut être que ce cri, qui jaillit de nos consciences, de notre affectation, de
notre reconnaissance : Vive la France !
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Allocution de Monsieur le Général
d’Armée ZELLER
Gouverneur Militaire de Paris
Messieurs,
C’est avec une gratitude profonde que nous acceptons cette plaque de marbre
destinée à perpétuer la mémoire des soldats croates qui, à de nombreuses
périodes de notre histoire, ont mélangé leur sang à celui des soldats français,
ont partagé leurs souffrances et leur gloire.
Votre geste, dans sa magnifique simplicité, nous touche très
vivement : il frappe par son désintéressement, par tout ce qu’il comporte
chez vous de qualité de cœur, de noble fierté, d’amitié et d’amour pour notre
pays.
Il ressuscite le souvenir du Régiment Royal Croate de Louis XV, ancêtre de
notre Ier Régiment de Cuirassiers, des fantassins et des hussards croates de la
Grande Armée, des nombreux soldats qui, à travers l’histoire et jusqu’à nos
jours, sont venus de votre pays, isolément ou par groupes, pour servir dans les
rangs de notre Armée.
Et comment ne pas évoquer spécialement ici -
à quelques dizaines de mètre du Tombeau du Grand Empereur, à quelques pas de sa
statue - ces trois Régiments Croates qui participèrent si glorieusement aux
dernières campagnes du Ier Empire :
- à Ostrovno, le 25 juillet 1812, où le 1er Régiment reçoit le baptême du
feu et est cité au Bulletin de la Grande Armée ;
- à Polotsk où le 3e Régiment se distingue particulièrement ;
- à la Moskova, en septembre, où le 1er Régiment se forme encore en carré
et repousse à plusieurs reprises les charges de la Cavalerie Russe – ce qui lui
vaut d’entrer le 15 septembre à Moscou ;
- à la Bérézina où, après la dure retraite, se retrouvent les débris des
1er et 3e Régiments ;
- en 1813, où les 1er et 3e Régiments combattent en maints endroits ;
- au siège de Magdebourg enfin, où le 2e Bataillon du 1er Régiment
résiste avec la garnison jusqu’au 23 mai 1814, deux mois après la
capitulation de Paris.
Et comment ne pas citer le brave Colonel Slivaric, nommé Général par
l’Empereur en février 1813 et qui, resté à la tête de son Régiment, malgré des
fatigues extrêmes, était hautement apprécié par ses chefs ?
Et comment ne pas donner les pertes en officiers de ces trois Régiments,
les seules qui nous soient parvenues et qui nous donnent une idée de celles de
ces vaillantes troupes :
- 18 officiers tués, 75 blessés, sur un effectif de 130 environ ;
- 29 Légions d’Honneur attribuées.
Vous êtes, Messieurs, les descendants, les héritiers de ces soldats
d’autrefois, comme vous êtes les fils, les frères, les compagnons de ceux
d’hier et d’aujourd’hui.
Dans ce magnifique Hôtel des Invalides, devenu le temple de la Gloire
militaire, le geste pieux de l’Union des Travailleurs croates méritait d’être
souligné.
Vous étiez déjà présents ici, par la pensée, par l’atmosphère qui règne en
ces lieux. Mais vous avez matérialisé cela par l’apposition de cette plaque.
Plus que jamais, maintenant, Messieurs, vous êtes ici chez vous.