Christophe Dolbeau: France-Croatie
FRANCE - CROATIE 5/23

C. Dolbeau
Le 27 mai, Lauriston est dans les murs de Raguse dont il garantit cependant l'indépendance (18).

Le commandant-en-chef de l'opération est le général Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont (1774-1852) dont l'offensive est extrêmement dure : "Je donnai l'ordre, écrit-il, de brûler plusieurs villages et tous les faubourgs de Castelnuovo (Herceg Novi) : c'était punir la rébellion dans son foyer même". A son arrivée, Marmont méprise souverainement les paysans locaux, "à peine des êtres humains", et le comte de Molitor n'est pas plus tendre. Ils suivent en cela le mépris qu'affiche l'empereur lui même, "... les Croates sont voleurs ; il ne faut donc pas s'étonner de toutes les voleries qu'ils peuvent avoir faites à nos troupes". (Lettre à Eugène, le 7 août 1806). Il est vrai que les soldats français ont découvert des indigènes particulièrement farouches ; l'aide-de- camp de Marmont, Charles Nicolas Fabvier (19), en donne le bref portrait suivant : "Ils ne font jamais un pas sans un fusil, deux pistolets, un sabre, un poignard et surtout un stylet dont ils se servent très adroitement" (20).

En 1810, les nouvelles conquêtes françaises (Carniole, Carinthie, Istrie, Croatie civile, Dalmatie, Raguse et une province militaire) sont réunies en un seul ensemble qui prend le nom de Provinces Illyriennes. "La nouvelle Illyrie, écrit l'abbé Pisani (21), s'étendait du nord au sud-est sur une étendue de 250 lieues ; ses frontières allaient du Tyrol au Pachalik de Scutari, et il s'en fallait de beaucoup que ses habitants fussent tous de même race : les Slaves, qui formaient l'immense majorité, appartenaient aux trois rameaux slovène, croate et dalmate ; de plus, dans le nord, plusieurs cantons pris au Tyrol et à la Carinthie étaient allemands ; enfin, sur tout le littoral, de Trieste à Raguse, où la civilisation italienne avait laissé de fortes empreintes, la langue italienne était sinon celle du plus grand nombre, au moins celle de tout homme à qui son instruction pouvait donner quelque influence" (22). Ces provinces sont administrées "à la française" (décret du 15 avril 1811), ce qui n'est pas toujours du goût des autochtones : fiscalité agressive, conscription (et donc insoumission et désertions), abolition des fideicommis et de la loi Grimani, application du Code Civil et du Concordat (23). Selon l'historien Chélard, Marmont instaure aussi un sévère contrôle policier, avec la création de cartes de domicile et d'identité et l'implantation de commissariats fournissant des rapports de situation tous les trois jours ; un serment de fidélité est exigé des notables et la censure est très stricte (24).

18. Cette indépendance prendra fin le 30 janvier 1808.

19. Le Baron Charles-Nicolas Fabvier (1782-1855) fut l'aide-de-camp du général Foucher, puis celui de Marmont, avant d'être fait colonel au lendemain de la bataille de Dresde. Engagé volontaire aux côtés des Grecs lors de la guerre d'indépendance, il défendit l'Acropole contre les Turcs, un fait d'armes que les Athéniens célébrèrent en lui érigeant une statue.

20. Cf. E. Haumant, Les Français à Raguse, in Revue de Paris, mars-avril 1912.

21. La Dalmatie de 1797 à 1815, Alphonse Picard et Fils, Paris 1893, p. 333.

22. Marmont faisait imprimer les décisions importantes en quatre langucs : français, allemand, italien et "illyrien" (slovène ou croate).

23. En homme d'état pragmatique, Napoléon est également soucieux de ses finances comme le montre cette lettre qu'il adresse à Gaudin, son ministre de finances, le 9 février 1810 : "...faites connaître au duc de Raguse, que j'approuve qu'il traite bien les Croates, mais je ne veux pas que l'acquisition des provinces illyriennes ajoute de nouvelles charges à mon trésor. Elles doivent donner 12 millions de revenu net pour payer les dépenses de l'armée et de l'administration générale. En un mot, elles et les troupes qui y sont stationnées ne doivent absolument rien coûter au trésor public... Dites-lui que j'approuve ce qu'il propose pour la Croatie militaire à l'exception de sa proposition de donner des armes à tous les Croates indistinctement et sans être assuré de leur fidélité". (Lettres Impériales, no 16231).

24. L'unique grand journal, le Télégraphe lllynien est un instrument de propagande dont la plupart des articles sont dictés par l'état-major de Marmont. Les fonctionnaires, les maires, les juges, les curés, sont obligés de s'y abonner...

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