Christophe Dolbeau: France-Croatie
FRANCE - CROATIE 1/23

C. Dolbeau
De nombreux croates se plaignent du désintérêt dont la France semble témoigner à l'égard de leur pays, et il est vrai que, depuis longtemps, la Croatie souffre chez nous d'un ostracisme culturel rarement remis en question. Ceci s'explique sans doute par les choix diplomatiques qui furent ceux de la France depuis 1914 (et même depuis 1830) et qui privilégiaient systématiquement la Serbie et le "yougoslavisme". Pourtant, la rencontre entre la France et la Croatie est bien plus ancienne que ça, et l'Histoire est là pour nous le rappeler...

Dès le Moyen-Age

Il semble, en effet, que la première grande apparition des Français en Croatie remonte au XIe siècle, avec le passage en Dalmatie (1081-1085) des armées normandes de Robert Guiscard. L"avisé Robert", à bien y regarder, n'était pas tout à fait français puisque la Normandie échappait encore à l'autorité des rois de France. Originaire du Cotentin, nous le considérerons quand même - avec un peu moins de 200 ans d'avance - comme un chevalier de France. Venu défier Alexis Comnène dans son fief, on sait en tout cas que le Normand reçut l'aide des archers dalmates et le renfort des galées de Raguse.

Quelques années plus tard, en 1096-1097, c'est à nouveau une expédition militaire, la Première Croisade, qui ramène les Français en Dalmatie. Partis "de Bourgogne, d'Auvergne, de Gascogne, de Gothie et de Provence", ce sont quelque 1 200 cavaliers et 10 000 fantassins que le Comte de Toulouse, Raimond IV de Saint- Gilles, et Adhémar de Monteil, l'évêque du Puy, conduisent en Terre Sainte. Dans cette armée, il y a toute la fleur de la noblesse du Midi de la France, Raimond de Turenne, Guilhem V de Montpellier, Rambaud d'Orange, Raimond du Forez, Isoard de Gap ou Gaston de Béarn. Il y a aussi un chroniqueur, Raimond d'Agiles, le chapelain du Comte de Toulouse, qui nous a laissé, dans son "Historia Francorum qui ceperunt Hierusalem" (1), un précieux témoignage sur les pérégrinations des Croisés. Arrivés par l'Italie du Nord, ceux-ci entreprennent de longer la côte dalmate (ou l'Esclavonie comme on disait alors), "déserte, montagneuse, dépourvue de chemins, dans laquelle nous ne vîmes pendant trois semaines ni animaux ni oiseaux" (2). "Enfermés dans leurs remparts, écrit Louis de Voïnoviæ (3), les habitants des villes du littoral paraissent n'avoir eu aucun contact avec les Croisés". Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'accueil des autochtones n'est guère sympathique: "Les habitants effrayés, raconte J. F-A. Peyré (4), s'enfuyaient dans les montagnes avec tout ce qu'ils possédaient, et se cachaient comme des bêtes fauves dans l'épaisseur des forêts. (...) Les Esclavons- Dalmates, comme les nomme Guillaume de Tyr, qui avaient en leur qualité d'indigènes une parfaite connaissance des lieux, suivaient à mi-côte la ligne des montagnes, et, du fond des retraites qui les abritaient, ne cessaient de harceler les Croisés, qui ne savaient comment se mettre en garde contre des ennemis insaisissables et des attaques aussi soudaines que multipliées". C'est apparemment sans rencontrer le souverain croate Petar Svaciæ (dont la capitale est à Knin) que la colonne poursuit sa route vers le sud. Excédé par les assauts répétés dont sont victimes les civils et les malades qui suivent sa troupe, Raimond de Saint-Gilles applique aux quelques prisonniers qu'il réussit à faire un traitement qui pour ne pas être très chrétien doit être très dissuasif : ainsi leur fait-il arracher les yeux, couper les pieds ou encore le nez et les mains, avant de les abandonner. De part et d'autre, les attitudes sont donc fort peu favorables à une quelconque fraternisation...

Parvenus en Croatie Rouge (au sud de la Neretva), les Croisés semblent rencontrer un meilleur accueil. L'historien Orderiæ Vital parle même d'un échange de cadeaux entre le Comte de Toulouse et le roi des Esclavons ("Sclavorum Rex") Bodin, à l'occasion de leur rencontre à Shkodar.

1. Cf. Recueil des Historiens des Croisades - Historiens Occidentaux, vol. III, Académie des Inscriptions et Belles- Lettres, Paris 1841-1906.

2. Raimond d'Agiles, cité par Pierre Barret et Jean-Noel Gurgand, Si je t'oublie Jerusalem, Hachette, Paris 1982, p. 161.

3. Histoire de la Dalmatie, Hachette, Paris 1934, p. 354 (tome 1)

4. Histoire de la 1ere Croisade, Durand et Giraudier Libraires, Paris-Lyon 1859, pp. 190-191.

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