Christophe Dolbeau: France-Croatie
FRANCE - CROATIE 17/23

C. Dolbeau
Habile versificateur, il ne tarde pas à composer, en croate cette fois, des sonnets et des "kolende" (80) qui connaissent un certain succès, notamment lors des carnavals ("Zvjezdoznanci"), il écrit aussi des mascarades ("Cupe", "Spravljenice") et une comédie ("Vjera iznenada") dont les thèmes lui sont, bien entendu, suggérés par Dubrovnik et ses habitants (81). "Il est par moment plus ragusain que les Ragusains eux- mêmes", remarque Louis Léger qui parle à son sujet de "nationalisme" voire d'"esprit de clocher"...(82) Ragusain d'adoption, Marc Bruère- Desrivaux n'en reste pas moins citoyen français, et c'est à ce titre que l'ambassadeur Descorches le recommande pour un poste d'agent consulaire. "Son âge m'aurait effrayé, écrit le haut fonctionnaire, sans l'espoir que l'exemple et les principes des estimables parents qui l'ont formé seront toujours présents à son esprit, et que l'honnêteté de son coeur concourra de son côté à fixer ce qu'il peut avoir encore de trop volatil" (83). En août 1793, il est donc affecté au poste de Travnik, en Bosnie, où il va demeurer quatre ans. Il s'y occupe essentiellement du bon acheminement des courriers diplomatiques qui arrivent de Constantinople, en profite pour obsetver dicrètement ce qui se passe en pays turc et pour se renseigner sur les faits et gestes de Karageorges (84). Attaché commercial, il ne se contente pas de la routine et se fait connaître en intercédant auprès de Bonaparte et de Perusan-Pacha en faveur de quelques négociants juifs de Sarajevo (Daniel Vita-Levi, Josef Papo et Abraham Danon) (85).

C'est durant ce séjour à Travnik qu'il se marie, devant les autorités turques, avec la Croate Katarina Hodić qui lui donnera deux enfants.

En 1797, les évènements d'Italie et les troubles qui éclatent en Dalmatie mettent un terme à sa mission. II rentre à Dubrovnik pour y seconder son père, assurant notamment la liaison avec la préfecture d'Ancône. Lors du siège de cette ville (automne 1799), il participe même à sa défense, à la tête d'une compagnie et avec le grade de capitaine. Après cet intermède guerrier, sa carrière reprend un cours normal : en 1801, il est officiellement nommé vice-consul, au grand déplaisir, semble t'il, du Sénat de Raguse qui redoute sa trop bonne connaissance de la langue et des gens... II occupe néanmoins cette fonction pendant cinq ans, jusqu'à l'arrivée des troupes de Lauriston. C'est une période assez calme dont les seuls faits marquants sont le veuvage de Marc Bruère Desrivaux et son remariage avec la Ragusaine Mara Kisić. En 1806, au début de l'occupation, il fait brièvement office de commissaire de police, avant d'accéder au rang de consul et de partir pour Shkodar.

A ce poste délicat, il fait montre d'un zèle efficace et d'une habileté consommée, parvenant très rapidement à établir de fructueuses relations d'amitié avec le pacha local. Il n'en oublie pas pour autant une oeuvre littéraire que sous-tend parfois un certain opportunisme politique : c'est ainsi qu'en 1811, il compose quelques sonnets et une ode latine en l'honneur de la naissance du roi de Rome ("In Regis Romae Natalibus Vates a populorum exultatione admonitus Gaudia Magni Napoleonis celebrare conatur, sese imparem confessus ad illius Heroica gesta digne canenda"). Son séjour en Albanie dure sept ans et il se termine avec le repli français de Dalmatie ; muté à Dubrovnik où le consulat a rouvert, Marc Bruère-Desrivaux y demeure jusqu'en 1816, date à laquelle il est remplacé par La Roche Saint-André et rappelé en France. Avant de partir, il participe une dernière fois aux festivités du carnaval en y faisant interpréter une petite pièce de sa composition, "L'arcolajo, canzonetta per musica".

Absent du pays natal pendant quarante- quatre ans, il éprouve certainement quelques difficultés à se réinsérer, et on ne sait pas exactement quelles sont ses activités professionnelles à Paris. On sait, en revanche, qu'il y a retrouvé son ami Antun Sorkocević (Sorgo) et qu'ils fréquentent tous deux certains salons (chez Mme de Genlis par exemple) où leur conversation "exotique" est appréciée. Soucieux peut- être de complaire au nouveau pouvoir, Marc Bruère-Desrivaux renoue alors avec la poésie de circonstance à laquelle il a déjà eu recours pour témoigner de sa loyauté au régime précédent.

80. Poèmes satiriques.

81. Les principaux écrits de Bruerović ont été édités par les revues Duhrovnik (1852) et Slovinac (1878).

82. Un consul de France, poète serbe. Mare Bruère-Desrivaux, Louis Léger, in Journal des savants, 1915, p. 35.

83. Marc Bruère-Desrivaux, Jean Dayre, in Annales de l'Institut Français de Zagreb no 16-17, janvier-juin 1941, p. 146.

84. Marc Bruère-Desrivaux était en contact avec Philippe Lavren, officier français au service de Karageorges. Plus tard, le chef des Serbes dépêchera un émissaire spécial (Rade Vucinic) auprès de Napoléon Ier.

85. Cf. Mare René Bruère (Marko Bruerovic) zastitnik i zagovornik jevrejskih trgovaca u Sarajevu, Stjepan Antoljak, in "Zidov" no 15, p. 7.

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