Christophe Dolbeau: France-Croatie
FRANCE - CROATIE 21/23

C. Dolbeau
Auteur en 1808 d'un "Mémoire sur la langue et les moeurs des peuples slaves", il publie ensuite une traduction de l'Osman de Gundulié ("Osman, poème illyrien en vingt chants" - 1838) ainsi que des "Fragments sur l'histoire et la littérature de la République de Raguse et sur la langue slave" (1839) (100).

Originaire de Dubrovnik, il en reste jusqu'au bout le fervent avocat comme en attestent ces quelques lignes datées de mai 1838 et extraites d'un article où Sorgo semble réfuter point par point les vieilles médisancos de Le Maire : "Les moeurs étaient simples et douces à Raguse ; le prolétaire actif, probe et religieux, partageait alternativement sa vie entre la navigation de long cours et l'agriculture, et acquérait ainsi une intelligence peu commune ailleurs, parmi les hommes de cette classe. La ville offrait un spectacle non moins rare, non moins digne d'être observé. On n'y voyait ni luxe, ni désoeuvrement, ni étrangers ; on y remarquait partout cet air de sévérité qui rend Genève si triste malgré ses nombreux banquiers et ses innombrables chaises de poste. Les hommes exclusivement livrés aux soins du gouvernement ou du commerce, et les femmes seules occupées de la gestion des affaires domestiques ne se réunissaient ordinairement qu'en famille, ou avec un nombre restreint d'amis intimes. Cette absence de société générale, jointe à l'isolement politique et topographique du pays, donnait autrefois un aspect sérieux et original à toute la ville de Raguse, ainsi qu'à ses principaux habitants. Ils étaients presque tous catholiques zélés, profondément versés dans l'étude des classiques anciens et modernes, et polis par de longs voyages dans les contrées étrangères où ils puisaient souvent leur éducation" (101).

Hormis le cas très particulier du Comte de Sorgo, l'cssentiel des troupes francophiles se recrute chez les "Illyriens" qui gravitent autour de Ljudevit Gaj. De ceux-ci que nous ne pouvons tous évoquer, nous ne retiendrons que quelques noms particulièrement représentatifs, à commencer par celui de Nemcié. Antun Nemcić (1813-1849), qui lit Voltaire et Rousseau dans le texte et voyage en France, est l'un des auteurs croates qui a le plus recours à la langue française, dans ses "Putositnice" (Notes de voyage) notamment. De son oeuvre principale, "Udes ljudski" (Le sort humain), il dira lui-même qu'elle est placée sous le signe de Balzac. D'autres littérateurs croates, comme Sandor Gjalski (1854-1935) et Ivo Vojnović (1857-1929) font, eux-aussi, un large usage de locutions françaises dans certains de leurs ouvrages ("Pod starim krovovima" et "Allons enfants" par exemple).

Après Nemcić, Gjalski et Vojnović, il faut citer Janko Jurković (1827-1889), compagnon de Gaj et auteur de traductions en croate de Racine ("Athalie"), Chateaubriand, George Sand ("La mare au diable"), Octave Feuillet ("La Petite Comtesse" - "Mala Kneginja") ou Edmond About ("Le nez d'un notaire" - "Notarov nos"). Dans le même temps, Victor Hugo et Eugène Sue connaissent un succès énorme dans tout le pays. En 1862, la revue "Pozor" célèbre Hugo et Barbès ; à la mort de Hugo (1885), le journal "Sloboda" parait encadré de noir, tandis que Thiers a droit aux mêmes honneurs posthumes dans "Hrvatski Svjetozor" (Le luminaire croate).

Dans ses "Constitutions de France" (Ustavi Franceske), le grand Ante Starcević réclame pour la Croatie une monarchie parlementaire, évoquant la France démocratique et républicaine comme modèle d'organisation sociale ; son adjoint, Folnegović (1848-1903) s'interesse, quant à lui, à l'abbé Sieyès dans les nombreuses revues auxquelles il collabore ("Vienac", "Prosvjeta", "Hrvatska Vila"). Contraint à l'exil en raison de son radicalisme nationaliste, Eugen Kvarternik, un autre proche de Starcević, choisit carrément de publier en français ; c'est donc à Paris, chez l'éditeur Amyot, que paraît, en 1859, "La Croatie et la confédération italienne" que préface le journaliste Léouzon-le- Duc (102). C'est encore à Paris, à l'Ecole Libre des Sciences Politiques et devant le professeur Antoine Leroy-Beaulieu, que Stjepan Radić soutient avec succès, le 29 juin 1899, sa thèse sur "La Croatie actuelle et les Slaves du sud".

Parallèlement à cette influence française, la Croatie connaît une très forte réaction contre tout ce qui est italien ou allemand, qualifié des termes méprisants de "taljanstina" et "njemastina". Dans son "O Hrvatskom Kazalistu" (Sur le théâtre croate), August Senoa, le directeur du théâtre national de Zagreb, donne d'ailleurs le ton en déclarant : "Notre pays n'exprime pas ses émotions avec une sentimentalité paresseuse mais d'une façon brusque, vive et ardente. Nous sommes plus apparentés aux Français qu'aux Germains".

100. Antun Sorkocević était aussi musicien et il composa une sonate pour piano à quatre mains.

101 Sur la ville et l'ancienne Répuhligue de Raguse, Antun Sorkocević, in Revue du Nord no 5 - mai 1838, pp. 189 - 190.

102. Louis-Antoine Léouzon-le-Duc (1815- 1889) était un spécialiste du monde scandinave et de la Russie. Ce fut lui qui se chargea de choisir, en Finlande, le porphyre rouge destiné au tombeau de Napoléon Ier.

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